À Vérone, Juliette affirme que les noms n’ont pas d’importance. Elle tente désespérément de convaincre l’auditeur — ou elle-même — que le nom de famille de Roméo ne devrait pas être un obstacle à leur amour. Comme tout le monde le sait, un premier béguin peut être douloureux.
Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose, sous un autre nom, sentirait aussi bon.
Le problème, c’est qu’elle avait tort. Les noms comptent. S’ils n’avaient pas d’importance, il n’y aurait pas de débats sur le changement de nom après le mariage. Les gens ne se tracasseraient pas pour trouver le prénom de leurs enfants, ni les entreprises pour nommer leurs produits. Selon le Livre de la Genèse, Adam avait du pouvoir sur les animaux parce qu’il avait le droit de leur donner un nom.
Si les noms n’avaient pas d’importance, je n’écrirais pas ceci sous pseudonyme.
Plus généralement, les mots comptent. Nous choisissons nos mots avec soin pour leur impact. Quand nous nous trompons – par négligence, par manque de considération pour notre public ou par erreur de contexte – nous sommes horrifiés à l’idée d’être mal compris. Et cela resterait vrai même si nous étions parfaitement précis dans nos propos. Pour illustrer : ce soir, j’ai hâte de savourer un morceau de tissu musculaire provenant du cadavre d’un jeune taureau castré.
Voilà. Un battement de cils, peut-être un léger bruit de dégoût. Tout ça parce que je vais manger un steak. Et pas seulement de la part des végétariens ou des véganes, dont certains ont choisi ce régime parce qu’ils refusent les euphémismes pour décrire ce qu’ils mangent ; même les carnivores enthousiastes peuvent trouver cette description un peu choquante.
Le même acte sexuel peut être décrit de tant de façons
Les mots que nous utilisons pour parler ou écrire de nos autres appétits en disent long. Le langage utilisé en classe, par un parent à son enfant, ou par un médecin à son patient, est très différent de celui qu’on pourrait employer dans la chambre à coucher. Ou pas : si quelqu’un aime le jeu de rôle médical, des mots cliniques peuvent très bien installer une ambiance des plus excitantes.
Même si l’on se limite à l’argot, chaque mot véhicule des connotations très différentes. Certaines dépendent du contexte ou du lieu, et la polysémie – lorsqu’un même mot a plusieurs sens selon la situation – ne cesse de semer la confusion, comme lorsqu’un Britannique naïf demande à un Américain s’il peut « bum a fag ». Je soupçonne que Austin Powers : L’espion qui m’a tirée aurait eu du mal à sortir au cinéma.
Même en privé, entre partenaires, les mots comptent. Comment réagissent-ils à différents termes pour leur corps, ou le vôtre ? Beaucoup de mots d’argot anatomiques sont utilisés comme insultes, bien sûr, ce qui signifie qu’il peut y avoir beaucoup de bagages personnels ou sociaux à prendre en compte. Un même acte peut être décrit de nombreuses façons, et ces variations changent notre perception. Elles peuvent nous rendre enthousiastes et motivés, ou au contraire tout gâcher d’un coup. Les variations de langage ont un impact bien plus grand que de petits changements de taille ou de position des accessoires utilisés.
Essayez ces différentes descriptions du même acte pour voir ce qui vous convient
« Je vais insérer ceci dans votre anus, Monsieur Smith »
« J’adorerais utiliser ce jouet pour explorer votre prostate. »
« Il est temps de voir ce que ce gode donne dans votre cul. »
« Je vais baiser ton trou avec ma bite en silicone. »
Avec le sexe, ce sont souvent les mots, plus que les sensations ou les actes, qui intimident. Parce qu’ils posent le décor et vous font douter. La personne au-dessus doit-elle toujours être dominante ? À partir de quand serrer fort devient-il le fait de maintenir l’autre avec consentement ? Faut-il forcément avoir un pénis – ou une bite, un zob, un manche – pour baiser quelqu’un ?
C’est pour cela que le dirty talk, le sexting ou l’écriture érotique peuvent être si intenses. On se rend compte à quel point les mots comptent. Sourire devant un café en disant à une amie que votre partenaire est doué pour vous faire languir, c’est une chose ; lui avouer que vous aimez la bondage et la frustration, sans oser croiser son regard, c’en est une autre. Il n’y en a qu’une qui donne envie de s’excuser.
« Touche ce sexe comme tu le penses vraiment »
« Ça m’exciterait vraiment de te regarder te toucher. » Un compliment et un indice sur ses préférences. À comparer à une demande directe : « Tu veux te faire jouir pendant que je te regarde ? ». Préciser l’anatomie change aussi la donne. « Caresse ta bite, fais-moi envie. » Ces derniers mots en font une consigne. Il n’y a pas de « s’il te plaît » ici, juste l’attente que ce soit pour elle, même si c’est mon corps qui est touché. Et encore plus loin : « Tu vas me faire un show maintenant. Touche cette queue comme il faut. » Être objectifié·e intensifie encore plus. « Je vais te regarder jouer avec cette queue bien dure, mais souviens-toi, les salopes n’ont pas le droit de jouir sans permission. »
Comme toujours, ce qui est intéressant, ce ne sont pas les extrêmes – les mots qui vous excitent à coup sûr, ou ceux qui ne vous font jamais d’effet. Ce qui est fascinant, ce sont les mots et idées qui vous excitent parfois, que cela vous fasse bander ou mouiller. Explorer ce qui fait la différence peut être instructif, et vous aider à intégrer ces aspects dans vos jeux. Il s’agit peut-être de trouver des mots et descriptions moins intimidants pour pouvoir tester de nouvelles choses sans crainte. Ou alors de repérer les phrases chargées qui transforment quelque chose de doux en une expérience intense ou interdite.
Quoi que vous fassiez, peu importe comment vous les appelez, ayez des roses. Et ne vous excusez jamais.
James Mycroft était fan de Sherlock Holmes bien avant que Benedict Cumberbatch ne le rende à la mode. Il lit, écrit et aime les sports à sensations fortes, y compris ceux qui se pratiquent au lit. Hélas, il est bien moins intéressant dans la vraie vie qu’en ligne.